La parcellisation des savoirs : un mal du siècle ?
Au cours des six dernières décennies, j'ai vécu, comme étudiant d'abord, comme enseignant-chercheur ensuite, les mutations qui ont affecté le monde universitaire. Le recul du temps permet de prendre la mesure de l'évolution du dialogue entre les scientifiques et le public.
Aux alentours des années 1960, les étudiants qui se préparaient au concours de l'Agrégation des Sciences Naturelles, devaient disposer d'un bagage de connaissances englobant trois grandes disciplines : la botanique, la géologie, la zoologie. Celles-ci étaient préalablement acquises dans le cadre de trois certificats de Licence dont les enseignements s'étalaient, pour chaque discipline, sur une année universitaire. A l'issue de leur cursus, les étudiants disposaient d'une culture scientifique intégrant les connaissances de l'époque dans les domaines des sciences de la Vie et des Sciences de la Terre. Elle délivrait une vision globale, rassurante à bien des égards, des mécanismes qui régissaient le monde vivant et la planète Terre, voire l'univers.
Au cours des décennies suivantes se produisit un véritable éclatement des champs disciplinaires. La palette des spécialisations s'étoffa suite au développement de nouvelles technologies et d'approches novatrices dans les domaines de la géologie et de la biologie. Il en fut ainsi de la théorie de la tectonique des plaques, la dérive des continents, qui révolutionna la vision dynamique de la planète. La découverte de la structure de l'ADN et le déchiffrement du code génétique ouvrirent de nouvelles perspectives aux sciences de l'hérédité. L'essor de la microscopie électronique repoussait les limites de l'observation et de l'exploration de la matière, introduisant un changement d'échelle. Au micron succéda le nanomètre. Les concepts nouveaux s'accompagnèrent de jargons propres à chaque discipline.
Du coup, les discours des scientifiques devinrent moins intelligibles du grand public.
Parmi les découvertes scientifiques relayées par les médias, il devint malaisé de faire la part du "scoop" et celle du résultat résolument novateur remettant en cause des acquis antérieurs et constituant une avancée significative des connaissances.
Une incompréhension, voire une certaine défiance, s'installait entre les chercheurs scientifiques et le public. Elle profita à des dérives tel le créationnisme qui niait la réalité de l'évolution biologique. Le spectre de l'apprenti sorcier alimenta une prise de conscience des menaces que les activités humaines faisaient planer sur l'intégrité de la planète. Les mouvements écologiques en furent le fer de lance.
Aujourd'hui, de multiples initiatives de médiations scientifiques incitent les chercheurs à aller à la rencontre du public en lui ouvrant l'accès de leurs laboratoires. Un dialogue est renoué entre ceux qui savent et ceux qui aimeraient savoir. L'aube d'une réconciliation ?
Tribune signée Jean-Claude Gall,
professeur émérite en paléontologie,
ambassadeur Alumni 2018
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