Echanges sur l'accueil et l'intégration en entreprise des personnes sourdes et malentendantes
Quelques éléments statistiques pour débuter le débat :
- Le taux d’emploi est plus faible si la limitation fonctionnelle auditive est grave.
- 49.8% des actifs en situation de surdité ont un emploi.
Accompagnement de la Mission Handicap de l’Université de Strasbourg :
- 11% des étudiants en situation de handicap ont une surdité sévère et profonde et 5% d'autres troubles auditifs. Par contre, ils vont vers toutes les filières et ne se retreignent pas dans leur choix de parcours.
- Quelques exemples d’aménagements mis en place à l’université : communiquer les supports de cours avant le cours / adaptation des évaluations notamment sur l’apprentissage des langues / secrétaire d’examen / avoir un placement à l’avant de l’amphithéâtre pour pouvoir lire sur les lèvres, etc.
Témoignage de Floriane Lutrat, doctorante à la faculté des sciences du sport
Floriane dit avoir eu un parcours ordinaire, en milieu ordinaire, qu’elle a seulement eu quelques adaptations lors des examens, à partir du brevet (une aide pendant les épreuves orales – pouvoir composer dans une salle à part – un tiers temps supplémentaire). Son intégration à l’université (exclusivement à Strasbourg) a été plus compliquée, par exemple la grandeur des salles et leur mauvaise acoustique.
Elle nous dit aussi qu’elle a été dispensée d’anglais dès l’entrée à l’université car elle ne se base quasiment que sur la lecture labiale et la lecture labiale est difficile dans cette langue, à cause de nombreux sons cachés. Par contre elle fait beaucoup d’allemand car c’est plus simple, il y a moins de sons cachés.
Floriane nous présente également le contrat doctoral handicap, qui est un contrat spécifique, sans lequel elle n’aurait pas pu faire un doctorat.
Ce doctorat amène des difficultés dans sa vie au quotidien. Par exemple, elle mène des entretiens qu’elle enregistre mais la retranscription lui prend énormément de temps par rapport à une personne entendante. Les colloques, conférences et séminaires sont également compliqué pour elle, car cela demande beaucoup d’attention, cela nécessite de forcer sur l’écoute et les yeux (lecture labiale), ce qui est très fatigant.
Pour information, seul 30% de la lecture labiale est décodée et les 70% restants sont devinés. Les sons de la gorge ne se voient pas sur les lèvres, la difficulté est grande quand on ne connaît pas le mot.
C’est compliqué de demander à utiliser d’autres matériels car cela peut embêter l’intervenant ou ne correspond pas à l’appareil auditif (son dispositif auditif est sur Bluetooth, des adaptations sont faites mais ne correspondent plus aux avancées des appareils auditifs). Elle préfère prendre sur elle car cela peut être difficile de le faire fonctionner et cela demande de l’énergie supplémentaire.
Existence du roger pen : on le pose devant soi et il capte les sources sonores et les rediffuse dans les appareils auditifs.
Son handicap a également un coût : elle a une perte de 80%, un appareil coûte 1 600 € (à multiplier par deux) et elle le change tous les 5 ans.
Comment voit-elle sa vie professionnelle ? Elle voudrait continuer dans l’enseignement universitaire mais de base cela est déjà le parcours du combattant, elle n’a pas encore réfléchi à la suite.
Témoignage de Dominique Mobelus, Chargé de Mission Handicap et Chargé de Recrutement Intégration pour l’entreprise Sogeti - Cap Gemini
Quels sont les aménagements de poste déjà mis en place ?
La première chose importante est que chez Cap Gemini, il y a une réflexion en amont, avant l’arrivée de la personne en situation de handicap. 1 mois environ avant l’arrivée sont faits le tour des locaux, du poste de travail et présentation des collègues à la personne. Le but est de voir avec la personne les aménagements à mettre en place, en fonction de ses besoins spécifiques.
Comme l’entreprise travaille dans le domaine du consulting informatique, la personne peut être amenée à travailler sur un plateau pour le compte d’un client externe ou travailler directement chez ce client. Dans ce dernier cas, leur rôle est également de faire accepter au client les aménagements nécessaires à la venue des salariés.
Quelques exemples d’aménagements prévus :
- Des gyrophares pour les alarmes incendies
- Des bandes auditives pour l’ascenseur ou en salle de réunion pour les visioconférences
- Formation des salariés, par exemple leur expliquer qu’il ne leur sert à rien de parler sans regarder (si la personne lit sur les lèvres) ou sans s’être annoncé visuellement dans le bureau.
- Des communications écrites peuvent aussi être privilégiées, du moins au début pour habituer les équipes
- Pour certaines réunions, des traducteurs LSF peuvent être nécessaires à cause du bruit généré par un nombre important de personnes présentes
- Minimiser la fatigue pour éviter le mal-être au travail, en aménageant les horaires, en respectant le besoin de la personne (plus de temps de pause), etc.
Combiner les solutions permet d’être plus optimal. Chaque personne a une typologie de surdité, une compréhension et des compensations différentes.
Témoignage de Karine Muller, correspondante handicap au rectorat de l’académie de Strasbourg
Quand un médecin du travail préconise une compensation, l’employeur est dans l’obligation de la mettre en place.
Le rectorat finance seulement 15 appareils auditifs par an, parce que l’aide n’est pas assez connue.
Il y a encore trop de personnes en situation de handicap qui n’osent pas se déclarer, de peur de perdre leur emploi, de gérer les tabous et peut-être aussi pour des questions d’image (notamment chez les enseignants).
Les gens se disent aussi que la personne n’a pas de handicap car il n’est pas visible, comme un fauteuil. Sauf que l’on considère le handicap à partir du moment où l’environnement n’est pas adapté à la personne.
Au rectorat, les aménagements souvent utilisés sont des équipements pour téléphone permettant d’amplifier le son. Si le maintien au poste n’est plus possible, le rectorat accompagne également à la reconversion (si la personne est titulaire).L’accompagnement se fait tout au long de la carrière car le trouble peut être évolutif.
Le recrutement :
Toutes les fonctions publiques ont un mode de recrutement spécifique aux personnes en situation de handicap, qui permet d’éviter de passer les concours, à condition d’avoir les mêmes compétences.
Dans la fonction publique il y a plus de personnes en situation de handicap que dans le privé, mais aussi parce qu’elle est source de troubles/maladies professionnelles. Elle est meilleure en maintien de l’emploi que le privé, par contre.
Témoignage de Séverine Michel de l’URAPEDA Grand Est*
L’URAPEDA intervient notamment, sur prescription de Pôle Emploi et Cap Emploi pour des personnes sourdes profondes. Les traducteurs LSF sont présents pour traduire lors des entretiens professionnels, des entretiens d’embauche, lors de l’intégration en emploi, pour préparer les équipes. Ils ont un objectif d’appui mais pas de conseil. En 18 ans à l’URAPEDA, elle a accompagné 3 personnes à l’université seulement.
Se pose la question de l’insertion professionnelle des personnes sourdes Utilisant la langue des signes.
En France, nous sommes est très en retard sur la question du handicap. Seul 4% des personnes en situation de handicap sont en fauteuil et la plupart des handicaps ne sont pas visibles.
De même, nous n’avons pas toujours conscience que la LSF est une langue à part entière. L’on ne peut pas s’en passer. Par exemple, un RDV médical mal traduit peut être catastrophique.
En France, personne n’est formé à la LSF alors qu’aux Etats Unis, les forces de police, les avocats, les médecins par exemple, sont formés à la langue des signes, au cas où.
En outre, les gens pensent souvent aussi que comme la personne a une prothèse (auditive, de jambe, etc.) son problème est réglé. Mais rien ne remplace un organe.
Dans le secteur privé, il y a un retard dans les demandes de reconnaissance.
Dominique Mobelus, nous indique qu’il y a eu beaucoup d’avancées ces dernières années depuis la mise en place de leur cellule handicap, mais qu’il se heurte toujours aux représentations des salariés, par exemple : « je ne vais plus pouvoir évoluer si je me déclare ».
Il existe également maintenant des chargés de recrutement spécifique au handicap et des forums spécialisés.
Témoignage de Maude, en 3ème année de licence à la Faculté des arts, option cinéma
Elle n’a pas être présente ce soir car elle participe en tant que bénévole au Festival allemand Augenblick en tant que jury jeune photographe.
Maude est sourde profonde, appareillée depuis l’âge de 18 mois.
Suivie par le centre Jacoutot pendant 3 ans, elle avait commencé l’apprentissage de la LSF qu’elle a abandonné, car elle se débrouillait bien à l’oral. Elle dit regretter de ne pas avoir poursuivi l’apprentissage de cette langue.
Pour la scolarité et les études, Maude a bénéficié d’aménagements de type adaptation des épreuves orales d’anglais et d’espagnol, placement devant pour faciliter l’écoute, aide à la prise de notes.
Maude est plutôt bien dans sa peau, malgré des hauts et des bas liés à son trouble auditif. Elle connaît les contraintes de la surdité dans le domaine du cinéma, où il y a évidemment une grande partie consacrée au son.
« Monter des films, se débrouiller pour avoir des connections Bluetooth via mes appareils, analyser la bande sonore dans un film, voir des films en français sans sous-titres où l’acteur marmonne dans sa barbe, dos à l’écran… ce n’est pas facile ».
Maude a déjà réalisé 2 courts métrages « Tu m’entends ? » et « A l’écoute des sourds» disponibles sur YouTube.
La hantise de Maude : perdre l’audition qui lui reste. Elle ne conçoit pas de ne plus entendre, ayant grandi dans un monde d’entendants et aimant trop les sons et la musique.
Témoignage de Marine, sourde profonde. Elle avait commencé une licence à l’Université de Strasbourg en sciences de la terre, de l’univers et de l’environnement entre 2010 et 2013.
Elle bénéficiait d’adaptations de type : micro HF, adaptations des épreuves de langues, placement devant, temps majoré et secrétaire pour les examens, relecture des consignes.
Marine s’est réorientée pour préparer en alternance un « Diplôme supérieur de comptabilité et de gestion » avec la Chambre de Commerce et d’Industrie de Strasbourg. Elle a effectué une année en alternance à l’Eurométropole, puis a intégré un cabinet comptable.
Elle exprime ses difficultés sur le plan pédagogique et en contexte professionnel :
Elle termine sa formation fin novembre, mais ne validera pas les unités d’enseignements qui lui manquent avec la CCI, considérant que les modalités pédagogiques ne sont pas adaptées à son handicap (cours collectifs bruyants, incompréhension des autres étudiants et de certains enseignants, difficultés pour récupérer des notes de cours, fatigue). Elle terminera son cursus via une plateforme de formation à distance qui lui permettra d’étudier à son rythme, avec des supports de cours disponibles.
Sur le plan professionnel, Marine aimerait trouver un emploi à la hauteur de ses compétences, mais craint de :
- devoir être sur un poste avec téléphone à temps plein,
- devoir faire face à la réticence de l’employeur face à son handicap,
- à l’équipe peu ou pas compréhensive (ce qui est le cas dans son travail actuel),
- devoir être autonome tout de suite sans explication en début du poste.
Pour finir sur cet afterwork :
« il faut en parler car ce qui n’est pas dit, n’existe pas ! »
Voici les coordonnées de Grégory DEJUANE du CEP – CICAT (Centre de Ressources, d’Information et de Conseil en Aides Techniques et Accessibilité) : g.dejuane@cep-cicat .com
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