Thèse, recherche, carrière : 6 bons conseils de Jean-Pierre Sauvage, prix Nobel de chimie
Prix Nobel de chimie en 2016, chercheur au CNRS et professeur de 1971 à 2014, professeur émérite de l'Université de Strasbourg, Jean-Pierre Sauvage était à Strasbourg, entre deux conférences à l'autre bout de la planète. Nous lui avons demandé des conseils à l'attention des doctorants, des chercheurs et de tout un chacun. Des conseils précieux, eu égard à son remarquable parcours. Un avant-goût de la prochaine Nuit alumni 2018 où il nous fera le plaisir et l’honneur de sa présence.
Créer une ambiance de travail amicale, dans la bonne humeur
« Mon directeur de thèse, Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie en 1987, avait sur moi une grande influence. Il était mon modèle, pas seulement par sa force de travail et sa passion pour la science, mais aussi en ce qui concerne l'organisation d'une équipe de recherche. C'étaient des relations peu hiérarchisées, faciles, directes, amicales. J'ai fait de même lorsque j'ai monté mon équipe, c'est venu naturellement.
C'est beaucoup plus agréable de venir travailler avec le sourire, et cela a un formidable impact sur la science : il y a moins de conflits, plus de collaborations, moins de compétition, des synergies se créent dans le même but. Ce n'est pas facile, il faut que ce soit naturel. C'est une question de caractère personnel. »
Rencontrer, échanger pour cultiver de nouvelles idées
« Pour moi et les personnes de mon équipe, les rencontres, les échanges et la communication entre scientifiques ont été déterminants. Il vaut mieux en dire trop que pas assez : on prend peu de risques en dévoilant ses projets et on peut gagner beaucoup. Partager ses pensées est souvent à l'origine d'idées originales. Partager avec des scientifiques de toutes disciplines, pas seulement dans son domaine, mais avec toute personne qui aime échanger et confronter ses idées.
Les recherches que nous avons démarrées dans les années 1980, qui ont conduit au prix Nobel, sont nées ainsi. Il ne faut pas se méfier des autres. La recherche est un monde concurrentiel, mais je pense que l’'on gagne à être au-dessus de cette impression de concurrence. Bien sûr, il ne s'agit pas non plus de tout dévoiler à ses compétiteurs directs. »
Oser la prise de risque, sauter dans un domaine moins familier
« Jeunes chercheurs, n'ayez pas peur de vous éloigner un peu de votre culture scientifique originelle. On gagne parfois à sauter dans un domaine qui nous est moins familier. Souvent la créativité vient de là. Pour nous, ça a aussi été déterminant. A l'origine, mon équipe de recherche et moi avions une culture assez large, peu spécialisée, très loin des machines moléculaires. Nous avons eu une bonne idée et nous avons sauté dans cet autre domaine, que nous avons même créé, celui des entrelacs moléculaires, les caténanes. Ce qui nous a conduits au prix Nobel.
A quel moment prendre ce risque ? C'est difficile à jauger, il n'y a pas de recette, cela relève de l'intuition.
C'est pour cette raison, que je n'aime pas le terme de recherche programmée. Ça ne se programme pas. Il faut laisser de la liberté, c'est la force et la particularité de la chimie à Strasbourg. Les équipes étaient indépendantes, elles décidaient de leurs axes de recherche. Je pense que l'on doit une partie de la réussite de la chimie à Strasbourg à cette organisation. »
Bien choisir son laboratoire de thèse
« Les étudiants doivent s'assurer de la qualité du laboratoire, avant d'y réaliser leur master puis leur thèse. Il doit correspondre à leurs aspirations scientifiques, mais il faut aussi s'informer sur l'ambiance dans l'équipe et sur la performance scientifique que l'on peut évaluer, entre autres, à travers les publications. »
Communiquer la science, rencontrer les jeunes, une mission essentielle
« La désaffection pour les filières scientifiques est un problème très grave, qui ne touche pas seulement la France. Mais en Asie (Chine, Japon...), c'est totalement différent. Leur enthousiasme pour la science fait vraiment plaisir.
Je vais beaucoup dans les lycées rencontrer les jeunes. Par principe, je réponds toujours positivement aux demandes. « On va trouver une date » ai-je l'habitude de dire. C'est l'une de mes missions essentielles. Je leur montre que tout le progrès que nous connaissons aujourd'hui vient des sciences fondamentales. Par exemple, leur smartphone est né des recherches des physiciens américains dans les années 1930 sur la structure des matériaux semi-conducteurs. Ils sont très réceptifs. J'y prends beaucoup de plaisir.
J'aime beaucoup communiquer, j'adore les conférences, que je passe beaucoup de temps à préparer car je n'aime pas donner deux fois la même. On me dit que je suis maintenant dans la transmission. »
S'informer en privilégiant le fait objectif plutôt que l'opinion
« Je pense qu'il est dangereux de s'informer sur les réseaux sociaux. Lorsque l'on est critique concernant une question, les dangers du glyphosate par exemple, il faut se renseigner pour s'appuyer sur des faits établis plutôt que de se fier à des rumeurs. »
Le conseil que lui a donné un autre prix Nobel de chimie
Jean-Marie Lehn : « Fais ta science, ne fais pas de politique, ne perd pas ton temps dans les conseils et autres instances. Si tu te consacres à la science, ça marchera et toutes les portes s'ouvriront ».
Propos recueillis par Stéphanie Robert
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