Comment sommes-nous devenus humains ? par Jean-Claude Gall, paléontologue
Intervention de Jean-Claude Gall, paléontologue
Nuit Alumni - Le Bal des Talents - 7 février 2020
Sommes-nous des singes nus surdoués ? Sommes-nous une anomalie, un avatar, au sein du monde vivant ?
La réponse des sciences est sans équivoque :
l’homme n’a pas toujours existé; il a fait son apparition sur Terre à l’issue d’un long cheminement qui l'a amené à se dégager progressivement du monde animal.
A quel moment l’humanité est-elle apparue ? dans quel contexte ? sous quelles formes ?
D’entrée de jeu, il faut rappeler que dans la classification du monde animal l’homme appartient à la classe des Primates, une appartenance qu’il partage avec ces voisins inquiétants qui nous ressemblent tellement, les singes.
Les plus anciens représentants des Primates se manifestent il y a environ 55 millions d’années. Il s’agit d’êtres de petite taille dont l'aspect était proche de celui des singes actuels de Madagascar (lémurs, tarsiers). Ils étaient arboricoles et se nourrissaient de fruits, de feuilles, éventuellement d’insectes.
L'homme est issu de ces lointaines formes ancestrales.
Il y a environ 10 millions d'années, deux grandes lignées, deux grandes familles, se détachent du tronc des Primates : l’une conduisant aux grands singes actuels (le chimpanzé, le gorille, l’orang-outan), l’autre aboutissant à l’homme.
Deux destins dont la communauté d'origine se traduit au niveau du matériel génétique : l’homme moderne partage 99% de son ADN avec le chimpanzé.
Parmi les différences notables existant entre les grands singes et l’homme, il convient de rappeler :
- leur capacité cérébrale c'est-à-dire le volume de leur cerveau, qui est d'environ 1400 cm3 chez l'homme actuel, 400 cm3 chez le chimpanzé
- une activité propre à l'homme qui est l'aptitude à fabriquer des outils et à les perfectionner. On s’accorde aujourd’hui à considérer que la grande divergence entre singes et hominidés s’est produite en Afrique.
NOS ORIGINES SONT AFRICAINES ET TROPICALES.
L’histoire de la lignée humaine est jalonnée par la succession d'espèces vivantes associées à des innovations majeures qui sont autant de paliers, de sauts culturels.
1ère étape : la bipédie
Une première grande différence entre singes et hominidés concerne leur mode de déplacement. Les hominidés sont bipèdes, ils se déplacent sur leurs membres postérieurs.
Tel est le cas de Ardipithecus un hominidé qui a vécu il y a 5 à 6 ma.
C'était un primate de forêt se déplaçant encore dans les arbres, tout en pouvant marcher sur le sol. Son régime était végétarien (fruits, feuilles).
Apparemment, il ne fabriquait pas d’outil. La forme de son crâne est assimilable à celle d’un ballon de rugby, alors que celle de l'homme actuel s'apparente à celle d'un ballon de football. Le front fuyant laissait peu de place pour un cerveau volumineux. Sa capacité cérébrale se situait autour de 400 cm3.
Le larynx, organe de la production de sons, était peu développé et ne lui permettait pas de disposer d’un langage articulé pour communiquer avec ses semblables.
On retrouve les caractères d’Ardipithecus chez des hominidés, plus récents, tous africains, les Australopihèques.
A CE STADE, L’HUMANITE EST ENCORE ANCREE DANS L’ANIMALITE.
2ème étape : l’invention de l’outil
Vers 2,5 ma apparait Homo habilis, toujours en Afrique. Son apparence physique est nettement plus humaine.
Son front est plus bombé. Sa capacité cérébrale est d'environ 600 cm3. Son larynx est plus développé. La configuration de sa cavité crânienne indique la probabilité d’un langage articulé.
Homo habilis est l'auteur d'une révolution majeure dans l'histoire de l'humanité, à savoir la faculté à fabriquer des outils (les choppers). Des pierres étaient cassées en vue d'obtenir des tranchants pour couper, disséquer, racler.
La fabrication d'outils est le résultat d’une chaine opératoire qui comprend la recherche et le choix d’un matériau, son façonnement et la transmission à ses proches d’une méthodologie grâce au langage.
La fabrication d’outils implique un projet, la conscience d’une action différée. L’outil est conçu avant d’être réalisé et utilisé.
L’outil confère à H. habilis le statut d’homme. Il traduit un changement radical des comportements. Il s’agit des premiers balbutiements d’une culture. Une vie sociale est attestée par des vestiges de campements impliquant une coopération entre individus. En outre, Homo habilis devient un consommateur de viande.
L'émergence d’Homo habilis est contemporaine d’un changement climatique global. En Afrique, le climat devient plus sec, la forêt régresse au profit de la savane, des espaces ouverts parcourus par de grands troupeaux d’herbivores qui offraient à l’homme une riche ressource en viande, en protéines.
UN LIEN EVIDENT APPARAIT ENTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES COMPORTEMENTS HUMAINS
3ème étape : la maitrise du feu
Il y a près de 2 millions d’années, toujours en Afrique, apparait un hominidé plus proche de nous par sa taille, par sa capacité cérébrale qui oscille entre 900 et 1300 cm3, par son mode de vie : le Pithécanthrope ou Homo erectus.
Son outillage est plus élaboré, (les bifaces). C’est un authentique chasseur. Parmi ses proies figure le cheval.
Avec le Pithécanthrope débute la diaspora de l’humanité. Vers 1,8 ou 1,4 millions d'années, le Pithécanthrope quitte le berceau africain et part à la conquête de l’Asie puis de l’Europe. Il y a 400 000 ans, il est présent en France, en particulier à Tautavel (Pyrénées orientales) et en Bretagne.
Le Pithécanthrope est contemporain d'une dégradation climatique majeure, un âge de glaciation qui perdure toujours. Il est à l’origine d’une innovation qui va bouleverser l’histoire de l’humanité : la maitrise du feu. En effet, un feu entretenu devient le foyer, un lieu de convivialité et d’échange entre générations, le lieu des palabres. Pour nous, le foyer est demeuré synonyme de famille.
AVEC LE PITHÉCANTHROPE UNE IDENTITE CULTURELLE PREND JOUR.
4ème étape : l’angoisse métaphysique
En Eurasie, il y a environ 300 000 ans, apparait un nouvel hominidé, l’homme de Neandertal, proche de nous à bien des égards. Il est l'auteur d'un évènement capital de l'histoire de l'humanité, à savoir les premières inhumations intentionnelles de défunts.
Le corps du défunt reposait parfois sur un lit de fleurs de différentes couleurs. Il pouvait être accompagné par des parures, des aliments…
Quelle représentation d’un au-delà se faisait l’homme de la Préhistoire ? on ne le saura jamais.
AVEC L'ESSOR DES RITES FUNERAIRES ON PEUT DÉSORMAIS PARLER DE CIVILISATION
5ème étape : la pensée symbolique
Au Pithécanthrope succède, il y a environ 200 000 ans, une nouvelle espèce d’hominidé issue de l’Afrique, Homo sapiens, l’homme moderne, notre ancêtre direct. Il quitte l'Afrique aux alentours de - 100 000 ans pour le Moyen-Orient et arrive en Europe aux alentours de - 40 000 ans.
Avec Homo sapiens se développe la pensée symbolique c’est-à-dire
la substitution à la réalité, de représentations et de concepts abstraits. Elle s'exprime dans la statuaire, l'outillage, l’art pariétal avec ses fresques d'un bestiaire polychrome en mouvement, la confection d'instruments de musique, des parures....
HOMO SAPIENS VA PARACHEVER LA CONQUETE DE L’INTEGRALITE DU GLOBE TERRESTRE; IL GAGNE L'AUSTRALIE PUIS LES AMERIQUES
6ème étape : la sédentarisation
Vers environ 10 000 ans avant notre ère, délaissant sa vie nomade et sa dépendance des aléas de la chasse et de la cueillette, l’homme se sédentarise.
Il s'agit d'une authentique révolution socio-économique. Les hommes deviennent pasteurs et cultivateurs. Ils se regroupent dans des villages. Il s'ensuit une explosion démographique.
La sédentarisation est contemporaine d’un changement climatique majeur :
la période de réchauffement qui succède, il y a 12 000 ans, à la dernière période de glaciation, le réchauffement climatique que nous vivons.
Il y a environ 5000 ans avant l’époque contemporaine, l'homme invente l’écriture.
NOUS QUITTONS LE DOMAINE DE LA PREHISTOIRE POUR FRANCHIR LE SEUIL DE L’HISTOIRE.
CONCLUSIONS
L’histoire de l’humanité est récente. Quelques millions d’années à peine face aux 4 milliards d'années qui se sont écoulées depuis l’apparition de la vie sur la Terre. Mais en dépit de sa brièveté, elle se révèle singulière à bien des égards.
D'abord, au commencement de leur histoire, les hominidés sont encore étroitement dépendants de la nature, soumis aux lois de l’évolution biologique, qui, lentement, assure le redressement de leur corps et accroît leur capacité cérébrale.
Le corps se modifie au rythme des durées géologiques.
Le Primate ancestral devient Homme lorsqu’il acquiert la capacité de communiquer par le biais d’un langage articulé et lorsqu’il s’approprie son environnement en fabriquant des outils.
Ensuite, des groupes d’hominidés créent les premières sociétés humaines en partageant et transmettant les mêmes techniques, les mêmes savoirs et sans doute les mêmes croyances.
Des paliers, des sauts culturels, émaillent l’histoire des sociétés humaines. Ils se succèdent à un rythme accéléré : la fabrication d’outils, la maîtrise du feu, l’inhumation des morts, l’essor de l’art, le développement de l’agriculture et de l’élevage d’animaux domestiques et, on peut ajouter, la révolution industrielle.
Le développement culturel prend le relais de l’évolution biologique et nous rend humain. La culture l’emporte sur la génétique.
L’héritage transmis de génération en génération prend le relais de l’hérédité.
Finalement, depuis quelques décennies, à l’essor démographique exponentiel que connait l’humanité, s'ajoute un impact croissant des activités humaines sur l’intégrité de la planète, mettant en péril l’avenir même de l’humanité.
Les Grecs de l’Antiquité se servaient du vocable hybris pour désigner la démesure des activités humaines, le dépassement des limites supportables, bref l’orgueil. L’hybris provoquait la colère et le châtiment des dieux.
Saurons-nous assumer notre responsabilité ?
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